Accouchement, Sang Menstruel et Chamanisme
par Vicki Noble
Traduit de l’anglais par Alain Boudet
Résumé :
le chamanisme ancien était avant tout une affaire de femmes. La pratique chamanique d’utiliser le sang lors de cérémonies rituelles a émergé du passé le plus ancien, quand les femmes étaient les praticiennes sacrées de l’art magique de la guérison, et quand les principales substances qu’elles utilisaient dans leur travail étaient le sang menstruel et le sang de l’accouchement, qu’elles épanchaient sans sacrifice. Le mystère ancien du sang féminin revient à notre conscience.
Introduction par A. Boudet:
Cet article de Vicki Noble est déjà ancien puisqu’il est paru en 1986 dans la revue Shaman’s Drum (printemps 1986, Orégon, USA). Il n’en garde pas moins toute sa pertinence et son actualité sur un sujet qui reste peu connu (voir aussi dans ce site Alchimie sexuelle).
Vicki Noble est une chamane guérisseuse qui enseigne le bouddhisme tibétain et le tantrisme. C’est une spécialiste de la spiritualité féminine et des différents aspects de la Déesse.
Les mots menstruations (tous les mois) et règles (régulièrement) évoquent la périodicité du cycle. Les femmes amérindiennes les appellent les périodes de lunes ou les lunes pour indiquer leur correspondance avec le cycle lunaire. Le mot Déesse représente l’Énergie féminine sacrée universelle. Elle est nommée par différents noms selon les traditions: Shékinah, Sophia, Mère Divine. Chez les chrétiens, l’Énergie féminine universelle est dissimulée dans le concept tarabiscoté de Saint-Esprit. Elle a eu de nombreuses représentantes porteuses de cette énergie dans diverses cultures, telles que Isis, Inanna, Ishtar, Kuan Yin, la femme Bison Blanc, la Vierge Marie, Marie-Madeleine et bien d’autres.
Aux personnes qui ne sont pas familières avec la notion d’échanges d’énergies et d’information subtiles entre partenaires lors du rapport sexuel, je conseille de lire d’abord mon article Sexualité essentielle et sexualité sacrée qui est une introduction approfondie aux aspects humains et sacrés de la sexualité.
The Crowning, par Judy Chicago, © 1980
selon des chercheurs comme Geoffrey Ashe et Lawrence Durdin-Robertson, le chamanisme ancien était avant tout une affaire de femmes [1]. Cela va fortement à l’encontre de la pensée d’aujourd’hui. Pourtant, les preuves archéologiques m’ont convaincu que la pratique chamanique d’utiliser le sang lors de cérémonies rituelles a émergé du passé le plus ancien, quand les femmes étaient les praticiennes sacrées de l’art magique de la guérison, et quand les principales substances qu’elles utilisaient dans leur travail étaient le sang menstruel et le sang de l’accouchement, qu’elles épanchaient sans sacrifice. La connexion entre les femmes, le sang et les cycles lunaires est assez évidente.
Et la connexion entre le chamanisme et la Lune (force nocturne) est incontestable. Mais le lien entre les femmes et le chamanisme est enterré dans le passé ancien, interprété à travers les paradigmes contemporains qui excluent systématiquement l’hypothèse que des femmes aient eu l’autorité spirituelle ou le pouvoir.
Pour cette raison, les spécialistes qui analysent les productions culturelles en font une lecture faussée. Une erreur scientifique terrible est de séparer ces manifestations en deux groupes distincts, habituellement identifiés comme le “chamanisme” et la “fécondité”. Cela sépare commodément les activités des hommes et des femmes dans les compartiments qui correspondent confortablement à nos propres divisions des rôles sexuels. Les chercheurs qui examinent les grottes de l’ancienne Europe ont donc dit qu’il y a le “chamanisme” d’une part, lié aux chasseurs – cueilleurs et pratiqué par les hommes en relation avec les dieux, et les “cultes de la fertilité” d’autre part, liés aux femmes et à leurs mystères biologiques. Tous les motifs liés au chamanisme ou à la sorcellerie – tels que l’envol de l’âme, des images d’oiseaux, des phénomènes de transe, la pratique de la guérison, la magie et l’utilisation du sacrifice par le sang pour obtenir le pouvoir – sont attribués aux hommes et à l’initiation masculine ou aux rites de chasse. Tous les autres symboles – principalement les vulves, les statues de femmes nues, et les Déesses enceintes taillées dans la roche – sont, au mieux, relégués à la religion (inférieure) de la Grande Mère. (Au pire, ils ne sont même pas considérés comme religieux!)
Les images anciennes de la Déesse-Mère
notre aveuglement à l’intégralité des motifs anciens (en Europe et ailleurs) vient de notre tendance moderne à séparer les hommes des femmes, et la terre du ciel. Les cultes soi-disant de fertilité nous font l’effet d’une religion vouée à la terre; les pratiques chamaniques semblent se rapporter au ciel. Mais comme je l’ai mentionné dans l’introduction de Mother-Peace: A way to the Goddess, les images les plus anciennes découvertes à ce jour proviennent de la grotte de Pech-Merle en France [2]. Ce sont des images de femmes – enceintes, en train de danser, en extase – dessinées à la main dans l’argile humide du plafond, avec des stalactites à proximité, peints pour ressembler à des seins. Les personnages eux-mêmes ont des seins lourds et pendants, ce qui les identifie à l’archétype de la “mère nourricière”. Ils ne sont toutefois pas seuls, mais dansent avec tous les animaux; et ce ne sont pas seulement des humains, mais aussi des hybrides, avec des têtes et des ailes d’oiseaux (parfois sans tête). Cela les relie à la transformation et à l’envol de l’âme, les motifs mythiques du chaman. Sans aucun doute, ces personnages sont à la fois chamaniques et biologiquement fertiles.
Marija Gimbutas a clairement montré que l’ancienne Déesse Mère était l’oiseau, le serpent, l’âme qui prend son envol et la guérisseuse; elle était également celle qui donne naissance, qui vit sa sexualité et qui dispense des soins nourriciers [3]. Les personnages de femme / oiseau aquatique qui sont prédominants, non seulement en Europe mais d’autres endroits, ont été abusivement relégués au rôle d’objets sexuels par certains chercheurs contemporains masculins.
Gimbutas cite des archéologues qui prétendent que les images féminines omniprésentes de l’Europe paléolithique, avec leurs gros seins et/ou leurs grosses fesses, avec leurs vulves fortement marquées, ont été faites par des artistes anciens masculins qui aimaient toucher les zones érogènes charnues des femmes pendant leurs “jeux de mains amoureux” [4]. Si, au lieu de cela, on recherche les évocations du sacré, elles sont toujours parlantes. Comme le souligne Gimbutas, “ce sont les seins de la Déesse Oiseau en tant que source sacrée de lait/vie et symbolisation des concepts de nourriture et d’abondance qui ont occupé les artistes préhistoriques.” Beaucoup de féministes ont souligné que c’était presque certainement des artistes femmes qui ont sculpté et peint les personnages anciens de femmes “à leur propre image”. Les anciennes femmes oiseaux aquatiques, avec l’œuf cosmique dans leurs fesses exagérées, représentent la Mère du Tout. L’oiseau aquatique est également associé chamaniquement au symbole de la capacité du chaman à traverser les “trois mondes”: le monde supérieur (le ciel), celui du milieu (la terre), et celui d’en-bas (l’eau) [5].
La mère qui donne naissance est une chamane
ce n’est pas seulement parce que la naissance est un miracle que nos ancêtres ont vu tant de puissance numineuse dans l’image de la mère qui donne naissance. C’est également parce qu’elle est quintessentiellement chamanique. Une femme sur le point de donner naissance se trouve au passage entre la vie et la mort. Elle scrute le domaine de la mort, ne sachant pas avec certitude si elle va s’en sortir vivante, et elle va jusque là afin de ramener une nouvelle âme. Ramener une âme depuis “l’autre côté” à celui-ci est du chamanisme et de la guérison. Faire face à la mort sans crainte afin de sauver une âme est l’exploit que tous les apprentis doivent maîtriser avant qu’ils ne puissent se dire chamans. Le faire au nom de la communauté, c’est être “au service”, le faire au nom de la race, c’est être une mère qui donne naissance. La plupart des formes de ce que nous appelons le chamanisme sont des dérivés du prototype original, une mère qui donne naissance.
Cela a été un secret bien gardé dans notre société que l’accouchement produit un état altéré de la conscience – un état d'”extase” naturelle ou “se trouver à l’extérieur de soi-même” [6], comme celui d’un chaman. Les soi-disant progrès de la science médicale ont servi à priver les femmes de cette expérience. Le vécu de l’accouchement a été retiré de nos mains et altéré au-delà de ce qu’on peut imaginer. La plupart des femmes américaines ne se font même pas confiance pour donner naissance sans la présence et l’aide active d’un médecin. Cette personne est habituellement un homme sans expérience préalable de l’accouchement, et sans aucune possibilité de l’avoir, qui a étudié l’accouchement et les femmes, et qui pense à elles avant tout en termes pathologiques. Les statistiques les plus récentes que j’ai vu énoncent que seulement 1% des naissances en Amérique ont lieu à la maison. Et c’est sûrement significatif d’un problème de constater que le taux de césariennes a augmenté de façon spectaculaire durant la dernière décennie. Une femme en travail ne peut pas vraiment expérimenter un quelconque ressenti de sa puissance chamanique naturelle si elle est transportée à l’hôpital, droguée, contrôlée par “moniteur”, priée de suivre les ordres, ses instincts annihilés, ses besoins rejetés et ses peurs amplifiées. Jusqu’à très récemment dans nos hôpitaux, son processus était arrêté à mi-parcours, elle était traitée comme si elle ne savait rien et était incapable de prendre une seule décision de son propre chef. Son ouverture vaginale était incisée, son bébé tiré – souvent avec l’utilisation de forceps; elle était recousue plus étroitement qu’à l’origine (“pour son mari”) et envoyée au lit, généralement sans son bébé! Dans ces conditions, une nouvelle mère ne se sent pas puissante, elle et son bébé ne se relient pas et tout cela ressemble à un cauchemar qu’elle finira par oublier.
Il est clair d’après les images de femmes en accouchement faites par des sociétés dites primitives ou autochtones, que ce ne sont pas toutes les femmes qui vivent ce niveau d’aliénation et de paralysie que de nombreuses femmes américaines ont traversé au moment de donner naissance. Des images anciennes montrent des femmes en transe, parfois chantant ou chantonnant, elles poussent et s’accroupissent, serrent les dents, respirent, font tout ce qui est nécessaire pour aider le bébé à sortir. De cette façon, lorsque ces femmes primitives achèvent l’acte de naissance, elles ont été initiées à l’état adulte réel. Elles ont passé le test, maitrisé des craintes inconnues, et surmonté des difficultés. Elles connaissent leur propre force.
Imaginez combien différente serait notre culture si les femmes donnaient naissance d’une manière qui nous amènerait à élever au plus haut niveau leur courage et leur réponse physique. On m’a dit que les hommes amérindiens qui exécutent la Danse du Soleil tous les ans (qui se percent la poitrine avec des crochets et dansent jusqu’à un état au-delà de la douleur en l’honneur de l’énergie de la force de vie) disent qu’ils veulent faire l’expérience du niveau de courage qu’une femme vit en donnant naissance. Et il y a quelques jours, j’ai pris au hasard un numéro de la revue National Geographic qui m’a été donné par un ami (Octobre 1985). La page que j’ai ouverte montrait un homme des iles Samoa – un chef – tatoué de “dessins pour la virilité et le statut”. Le tatouage entier, dit la légende, pourrait prendre dix-huit heures de “douleur de cisaillement de la peau que les insulaires disent égale à celle de l’accouchement.” Ils disent: “si vous pouvez supporter la douleur du tatouage, vous pouvez surmonter toutes les épreuves de votre vie” [7]. De même, je pense que si vous pouvez supporter la douleur de l’accouchement, vous pouvez surmonter toutes les épreuves de votre vie.
La puissance du sang
vn autre très célèbre sculpture sur l’entrée d’une caverne ancienne utilisée pour un rituel de groupe est la “Vénus de Laussel” d’environ la même période que Pech-Merle (remontant peut-être à 30 000 avant JC, peut-être moins). Elle présente l’habituel ventre de femme enceinte, avec sa main posée sur lui; son autre main tient en l’air une corne (symbole du croissant de lune), avec treize marques gravées dessus (les 13 mois lunaires de l’année) et peinte d’ocre rouge (symbole du sang de la vie). L’ocre rouge a également été utilisé dans les civilisations anciennes sur les corps des morts qui étaient manifestement enterrés avec cérémonie et respect. Le sang de la Déesse était la magie à travers laquelle nous entrions dans la vie; et il représentait les bras en attente de la Mère qui nous prenaient à la fin. Le sang de la vie (la naissance) et le sang de la mort (la menstruation) appartenaient tous les deux à la Mère de Toutes Choses, la Maitresse des Animaux, la Dame des Bêtes.
L’efficacité magique du sang est universellement reconnu. La puissance du sang des menstruations et l’accouchement est reconnu, par exemple, dans les rites des chamans tibétains et lamas [8].
Durdin-Robertson affirme que le premier sang à l’autel était du sang menstruel des femmes, une force “donnée de façon naturelle et vivante dans leurs cycles mensuels.” Le “pouvoir de l’autel” était le “pouvoir du sang”, cette substance qui “augmente la vitalité, affecte les autres mondes, et construit des formes pour les esprits ou les ombres demeurant ici, et les aide à se manifester et à communiquer.” Il suggère que toute l’éthique de la religion repose sur la question de savoir où obtenir le sang nécessaire. L’ancienne religion matriarcale, dit-il, l’obtenait naturellement [9]. Lorsque que cette religion a été éliminée et remplacée dans le monde entier par le patriarcat (l’institutionnalisation du Père), le sang a dû être obtenu par d’autres moyens. Des animaux et des humains ont été sacrifiés pour leur force de vie précieuse, pratique qui se perpétue encore aujourd’hui.
Avant l’avènement de l’éclairage électrique et de la famille nucléaire, quand les femmes vivaient et travaillaient ensemble en tant qu’unité collective, elles saignaient aussi et ovulaient ensemble en synchronisation avec la lumière et les cycles de la lune. Imaginez un instant la puissance incroyable qui doit avoir existé lorsque le groupe des femmes dans son ensemble avaient leurs menstruations en même temps! La religion des femmes était reliée au culte de la Lune dans toutes les cultures; et la Lune est reliée à la Terre (comme la Mère à sa fille). Les “loges de pleine lune” amérindiennes nous rappellent encore cet héritage. Les mystères du cycle naissance – mort – renaissance appartiennent à la femme, tout comme ils appartiennent à la Lune qui change, meurt et renait chaque mois. Le symbole de la Déesse par excellence est le serpent qui mue, renvoyant au revêtement de la muqueuse utérine qui s’épanche chaque mois dans un processus de mort organique naturel à la femme.
Le grand “berceau de la civilisation” de Sumer (plus tard, Babylone) détient les origines de l’écriture, des sciences, des mathématiques, des premiers codes législatifs, et des divisions de la culture en strates de classe. La première écriture connue est l’histoire de la Déesse sumérienne Inanna (plus tard la babylonienne Ishtar) et son développement commençant comme jeune fille, arrivant à la maturité de la féminité sexuelle complète, et finalement voyageant dans les Mondes inférieurs pour faire face à la déesse de la mort (pendant trois jours!) et à la pourriture [10]. Cela correspond au cycle de l’ovulation et des menstruations, et au symbolisme lunaire de la Grande Déesse dans sa trinité: Fille, Mère, Femme âgée. Elle croît (renait), grandit jusqu’à la plénitude (exprime sa nature érotique, ovule, devient une mère) et décroît (meurt, a ses règles, devient inconsciente; “la libido s’affaisse sur elle-même” comme le décrit Nor Hall [11]). Et toujours – c’est central dans le mythe du principe de régénération féminine – elle renaît une fois de plus.
Dans les Tantras indiens, la puissance “rouge” d’une femme est sa puissance sexuelle. C’est seulement quand une femme gourou a ses règles qu’un homme peut être initié par elle dans la religion tantrique. La Kali rouge et sanglante est la personnification archétypale de cette puissance; elle s’accroupit sur le corps tranquille de son amant, Shiva, alors qu’ils s’engagent dans l’union sexuelle. Elle est surtout connue pour sa tendance à couper la tête de Shiva, sectionner son œil ou son esprit rationnel. Il meurt à sa conscience ordinaire (devient un cadavre), lorsqu’elle le mène à la conscience extraordinaire par l’état tantrique d’union et de grâce. La Kali noire est l’aspect inférieur d’Aphrodite, la déesse grecque de l’amour sexuel et érotique. Kali ne se prête pas aux fantasmes masculins de ce qu’est une femme; elle agit par la puissance qui existe en elle. Elle “fait monter la Kundalini” qui se manifeste par son activité sexuelle divine.
Il n’est pas facile à notre époque d’imaginer la puissance chamanique inhérente aux menstruations. Avec beaucoup de femmes de ce pays qui souffrent de syndrome prémenstruel (SPM) et qui considèrent leurs menstruations comme gênantes, douloureuses, ou fondamentalement négatives, les idées de “pouvoir psychique” ou “puissance féminine” liées à la menstruation peuvent paraitre incroyables. Pourtant, jusqu’à une période récente, une femme dans son temps de saignement était considérée comme étant dans un état de conscience élevé et dans la sagesse. Dans les cultures anciennes et primitives, les femmes allaient “sous terre” pendant trois jours et n’agissaient pas selon les façons ordinaires. Elles étaient à l’écoute de leurs capacités psychiques innées de ce moment magique, s’ouvrant aux messages oraculaires du royaume de l’esprit. Elles faisaient cette lecture intérieure dans l’intérêt de toute la communauté, agissant comme des chamanes ou guérisseuses, plutôt que comme des personnes individuelles.
La puissance rouge de guérison
les vestiges de la reconnaissance de la puissance du sang féminin peuvent être vus dans la façon dont la culture patriarcale définit les menstruations comme “impures” et pathologiques. Même les amérindiens contemporains “interdisent” aux femmes d’entrer dans les huttes de sudation pendant leurs lunes, ou de cuire des aliments pour les autres. La culture occidentale attend des femmes qu’elles continuent à vaquer à “leurs taches comme d’habitude”, plutôt que de prendre le temps de s’écouter elles-mêmes. Les féministes ont parfois pris la position que les femmes n’ont aucun problème pendant leurs menstruations, rien qui devrait les empêcher d’être présidente ou quoi que ce soit qu’elles auraient pu vouloir faire exactement comme les hommes. C’est une vision de myope qui mérite d’être repensée. Si les femmes occupent les postes masculins traditionnels et les mettent en œuvre de façon masculine, alors nous sommes susceptibles de rencontrer des problèmes menstruels tels que le syndrome prémenstruel. Toutefois, si les femmes devaient remplacer des hommes en tant que dirigeants et détenteurs du pouvoir, et opérer selon des modes intrinsèquement féminins, en se réservant du temps sacré pour leur travail psychique dans l’intention de prendre des décisions à partir de leur plus grande profondeur possible, alors nous pourrions voir des changements dans le tissu de notre société!
Le cycle menstruel représente la puissance de guérison. C’est un échange régulier entre les puissances interne et externe, en équilibre: un temps pour se tourner vers l’intérieur, un temps pour les relations avec les autres. Cela apporte une variété d’expériences et de sentiments, depuis la fertilité de l’ovulation et sa manifestation nourrissante et émotionnelle, à l’infertilité de la période menstruelle et la puissance sexuelle passionnée et sombre qui existe à ce moment pour elle-même. De même que la Kundalini monte en serpentant, la puissance “rouge” ne se limite pas à la maternité. Elle représente la chaleur de guérison chamanique qui monte à travers le corps et régénère toutes les cellules. Elle apporte avec elle la capacité de faire des oracles, le pouvoir d’entendre la voix de l’esprit et de la traduire ou l’interpréter pour le bien-être de la communauté. Elle apporte aux femmes de grands rêves et une qualité de pouvoir inhabituelle, presque “masculine”. La Kali rouge avec sa langue pendante représente la capacité des femmes d’initier, catalyser et transformer.
Ce pouvoir de guérison régénératrice est au cœur du chamanisme, ainsi que le système de croyance qui soutient que rien n’est incurable si vous vous connectez au niveau de son centre ou de sa source, c’est à dire le plan de l’esprit invisible. Les chamans voyagent hors du corps comme des oiseaux vers le monde supérieur, et comme Inanna, vers les mondes inférieurs pour mourir et renaitre. Ils quittent l’ici et maintenant et voyagent par le corps de l’âme dans les royaumes invisibles pour sauver les âmes de la maladie et de la mort. Des déesses comme Kuan Yin (Chine) ou Tara (Tibet) ou Changing Woman (Navajo) ou Ix Chel (Maya) sont toujours associées à la magie et au rituel, à la transformation et au salut. Elles sont essentiellement chamaniques, et ce sont aussi des mères qui donnent naissance, qui créent et prolongent la vie. Comme Inanna, elles représentent la Mère Lune, Vénus en tant qu’étoile du matin et du soir (de la naissance et de la mort), et la Mère Terre. Elles régissent les cycles de vie; elles “entendent les cris du monde” et y répondent; elles supervisent l’accouchement, aident les mourants et nous guérissent tous entre ces deux états. La Mère de toute Vie est la divinité appelée par les chamans du monde entier et en tout temps.
Les archéologues, lorsqu’ils sont confrontés à la puissance de la Déesse, au mieux la traitent comme la Mère des animaux à qui le chaman (homme) s’adresse pour la prier de faire sortir du gibier. Mais, en réalité, elle est la cause première, elle est la Mère de l’Univers, la Source, l’Utérus cosmique. Elle est le commencement, le centre et la fin de tout. C’est grâce à sa puissance et avec sa bénédiction que les chamans travaillent. Et c’est dans son monde que toute activité chamanique a lieu. Les chamans de Sibérie et Inuits interrogés par les ethnologues du XIXe et du XXe siècle confirment ce point de vue; même le célèbre chaman péruvien contemporain, “Eduardo le Guérisseur” [12] admet qu’il tire sa puissance du royaume du féminin. Le travail ne peut être fait par aucun autre moyen.
La Déesse oiseau/serpent dans les Amériques
quand mon mari et moi séjournions à Taos il y a quelques années, nous avons dormi dans un motel sous une grande reproduction d’une peinture sur sable navajo. Au centre du tableau se trouvait une grande Mère maïs, et de chaque côté d’elle il y avait un personnage plus petit, l’un masculin, l’autre féminin – visiblement ses enfants terrestres. De même, dans l’ancien Mexique de la période classique (du 1er au 8ème siècle après JC), la divinité centrale a été représentée sur les peintures murales de Teotihuacan. C’était une déesse oiseau et serpent; de chaque côté d’elle, il y a un participant plus petit (déguisé en oiseau) habillé en costume de cérémonie, apparemment ses prêtresses. Son masque d’oiseau a été sculpté sur l’extérieur des édifices monumentaux trouvés partout au Mexique, mais a été maintes fois interprété à tort comme le “dieu de la pluie” Chac (maya) ou Tlaloc (Aztèque) ou Cocino (Zapotèque), qui était son fils et est arrivé après elle (voir figure) [13].
Au moins un millier d’années plus tôt, des milliers de minuscules figurines féminines ont été enterrées dans des monticules partout au Mexique et en Amérique centrale, où la tradition du chamanisme est restée plus forte que n’importe où au monde. Les archéologues, pour la plupart, n’ont pas voulu relier ces personnages (et ceux d’Amérique du Sud) à la religion ou aux grands centres d’architecture, créant une fausse ligne de démarcation entre ce qu’ils appellent la “magie” (les icônes féminines anciennes, appelées “danseuses” et “jolies filles”) et la “religion” (définie par le premier personnage de sexe masculin, en l’an 200 avant JC, supposé être un dieu) .
Lorsque les Toltèques se sont imposés aux Olmèques et aux Mayas du Vieux-Mexique (an 900 après JC), la Déesse-Mère a été intégrée à la nouvelle religion, et on a inventé les sacrifices humains pour nourrir les nouveaux dieux. De même quand les Aztèques sont arrivés plus tard, ils ont remplacé l’ancien ordre par un nouveau de caractère militariste, intégrant de nouveau la Déesse Mère dans leur cosmologie. C’est alors que le sacrifice humain a atteint son apogée. Les sacrifices aztèques étaient faits par un prêtre revêtu de la peau réelle d’une vieille femme décrite comme représentant la Grande Déesse Mère Cuatlicue, “celle à la jupe de Serpent” [14]. Ses attributs, le serpent et le jaguar, appartiennent tous deux à l’ancienne époque matriarcale de Mexico [15].
Partout dans le monde à des moments différents, les prêtres masculins ont porté des vêtements ou des seins ou des masques de femmes pour canaliser la puissance de l’énergie magique régénératrice féminine dans leurs rituels. Ils ont toujours dû se procurer le sang nécessaire, afin de rendre leurs cérémonies religieuses réelles, substantielles. Le prêtre africain qui transporte le sang dans une corne à l’autel reproduit une pratique ancienne qui vient d’un temps où le sang était naturel et coulait spontanément du corps d’une prêtresse qui l’apportait elle-même sur le lieu. Le chaman huichol qui reproduit la pratique traditionnelle consistant à asperger le maïs (la plante sacrée de la déesse) du sang d’un taureau ou d’un chevreuil (ses animaux sacrés dans le monde entier) participe de ce qui reste d’une ancienne activité religieuse féminine qui n’est plus conduite par des femmes. Il est bien documenté que le sang menstruel a été utilisé comme engrais dans les anciennes sociétés agricoles. Les femmes féministes modernes se sont mises à nourrir leur plantes d’intérieur et à s’accroupir dans leurs jardins selon cette pratique ancienne, dans un effort pour récupérer le mystère sacré de notre “Sagesse du Sang”.
La séparation entre chamanisme et féminin est (ce n’est pas une coïncidence) la même que celle entre les hommes et les femmes, entre l’esprit et la matière. La fragmentation est partout caractéristique de la culture patriarcale. Je ne sais pas ce qui a causé la reprise globale de la domination patriarcale qui a commencé il y a 5000 ans et arrive à son extinction finale maintenant. Mais ses méthodes et ses motivations peuvent être universellement constatées comme superposition et substitution d’une ancienne religion féminine autochtone qui était communautaire, paisible et puissante. Le drapeau du Mexique avec son aigle vainqueur du serpent – le ciel dominant la terre, l’esprit dominant la matière, l’homme dominant la femme – est un symbole approprié du patriarcat. Autrefois, la déesse oiseau-serpent était le centre, l’image principale de la divinité. L’intégration de la vie et de la mort, du féminin et du masculin, de la matière et de l’esprit est sa signification ésotérique. Sa réapparition en ce moment, cinq mille années après la descente d’Inanna dans les mondes inférieurs, est appropriée et significative. L’intérêt actuel et l’attirance pour le chamanisme se produit parallèlement à l’émergence d’une spiritualité féminine. Le mystère ancien du sang féminin revient une fois de plus à notre conscience. La Déesse en tant que Mère du Tout est de retour, et j’espère que la Terre – son corps – sera guérie avec notre participation, nous ses enfants, avant que nous nous détruisions nous-mêmes.
Références
1/ Ashe Geoffrey. Ancient Wisdom Turn-bridge Wells. Kern, England; Abacus Books., 1979.
2/ Noble Vicki. Motherpeace: A Way to the Goddess through Myth, An & Tarot. S-F.: Harper&Row, 1983.
3/ Gimbutas Marija. The Goddesses and Gods of Old Europe: Myths and Cult Images. Berkeley and L.A., University of California Press, 1982.
4/ Gimbutas Marija. Vulvas, Breasts and Buttocks of the Goddess Creatress. L-A., University of California Press, 1981.
5/ Halifax Joan. Shaman: the Wounded Healer. London, Thames & Hudson, 1982.
6/ Eliade Mircea. Shamanism: Archaic Techniques of Ecstasy. Translated by Willard R. Trask. Princeton, NJ: Princeton University Press for the Bollingen Foundation, 1964.
7/ National Géographic Magazine. Washington, D.C.: National Geographic Society, October 1985.
8/ Beyer Siephan. The Cult of Tara: Magic and Rilual in Tibet. Berkeley, University ot California Press, 1973.
9/ Durdin-Robertson Lawrence. The Cult of the Goddess. Huntington Castle, Clonegal, Enniscurthy, Eire: Cesara Publications, 1974.
10/ Wollestein Diane and Samuel Noah Kramer. Inanna: Queen of Heaven and Earth. NY, Harper & Row, 1983.
11/ Hall Nor. The Moon and the Virgin: Reflections on the Archetypal Feminine. NY, Harper and Row, 1980.
12/ Eduardo the Healer, a film produced by Douglas Sharon.
13/ Furst Peter T. Hallucinogens and Culture. Novato, CA: Chandler and Sharp Publishers. Inc., 1976.
14/ Furst Jill Leslie and Peter. Pre-Columbian Art of Mexico. NY, Abbeville Press, 1980.
15/ Girard Raphael. Esotericism of the Popul Vuh: the Sacred History of îhe Quiche- Maya. Pasadena, CA: Theosophical University Press, 1979.
Je profite de ce post pour vous inviter à découvrir, si ce n’est déjà fait, deux blogs que j’apprécie et où vous pourrez trouver, entre autres choses tout aussi intéressantes, des billets consacrés au féminin sacré :
• Le Blog de Yaya, elle anime également Mamayaya (Échange et Partage autour de la Parentalité)
• Claire des Bruyères, qui file et tisse “à l’ancienne”, et vient d’ouvrir sa boutique sur Etsy : L’atelier des Bruyères.
Merci pour cet article vraiment passionnant, et pour le lien 😀 Amitiés, Claire
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oui tres bel article, merci à toi, je me permet d’ajouter “pour renaitre” à la fin 🙂
Le passage où tu expliques ” Au moins un millier d’années plus tôt, des milliers de minuscules figurines féminines ont été enterrées dans des monticules partout au Mexique et en Amérique centrale” m’a fait comme un flash, d’un docu sur arte, ou bien france5, que j’ai vu il n’y a pas si longtemps, il m’avait intrigue pour plusieurs raisons dont une : ils avaient trouves effectivement enomement de petites figurines femines ( avec une trompe pour nez il me semble) mais les avaient relies à la religion, à une premiere forme de religion pour etre exact. Un peuple qui cultivait que du maïs, qui etait donc tres combatif. Je peux peut etre le retrouver, si jamais 😉
Coucou,
Bon j’ai beau cherche, je ne trouve pas (pas un qui me vaaaaa). C’est bien dommage c’etait un beau documentaire ! Mais je ne lache pas l’affaire, sait on jamais 😉