La majorité des femmes accouchent aujourd’hui en position gynécologique, allongée, les jambes fléchies sur la poitrine. Mais cela n’a pas été toujours le cas… Et les postures de nos ancêtres, bien plus verticales, reviennent en force !
A la Préhistoire… accroupie en pleine nature
Les peintures et sculptures rupestres que les archéologues ont étudiées montrent des scènes d’accouchement à même le sol, près d’une source d’eau ou dans la forêt, afin d’accroître le pouvoir vital de la Terre. Les femmes accouchaient accroupies, probablement seules. La fertilité des femmes et de la Terre ne faisaient qu’une, conférant à la naissance un caractère sacré. Dans la mythologie grecque, on lit que la mère d’Apollon accouche « à genoux dans l’herbe tendre ».
Pendant l’Antiquité, assise entourée de femmes
La position verticale (à genoux, accroupie, assise) reste privilégiée. Dans les familles aisées, on utilisait des sièges d’accouchement. Dans les écrits de Soranos d’Ephèse, père de l’obstétrique à Rome, on apprend que les femmes accouchaient assises, entourées de trois femmes, une de chaque côté, une derrière, plus une sage-femme devant qui recueillait l’enfant.
Les récits de l’Egypte Antique relatent l’accouchement de la déesse Hathor assise sur un lit. Tandis que chez les Hébreux, on sait, grâce à “l’Encyclopaedia Judaica”, que même si la femme meurt en accouchant, elle reste sur sa chaise pour qu’un médecin tente de sauver l’enfant par césarienne !
La succussion, quézako ?
Il ne s’agit pas là d’une scène de torture, mais bien d’une technique d’accouchement qui a existé pendant l’Antiquité et qui s’appelle la « succussion hippocratique ». Quand le travail s’éternisait, que le bébé se présentait mal, la femme était couchée sur le dos, attachée au lit par des linges. On soulevait le lit perpendiculairement, et à chaque douleur de contraction, on abaissait le lit au sol (garni de branchages pour amoindrir les chocs) pour faire progresser le travail…
Au Moyen-Age, sur les genoux d’une femme ou à l’étable
Les femmes s’asseyaient plutôt sur les genoux d’une femme robuste, voisine ou proche, la matrone était placée devant. L’accouchement se déroulait dans la salle commune calfeutrée et surchauffée, grâce à la cheminée qu’on devait alimenter sans cesse. Dans les familles pauvres, cela pouvait se dérouler dans l’étable, avec la chaleur des animaux.
Dans la deuxième moitié du Moyen-Âge, les chaises d’accouchement se généralisent. A la Renaissance, elles se perfectionnent avec des poignées que l’on peut saisir pour pousser.
Au XVIIe siècle, la position allongée comme seule acceptable
Sous l’impulsion des chirurgiens accoucheurs comme François Moriceau, l’obstétrique devient au XVIIe siècle une spécialité médicale. Les médecins participent aux accouchements, ils utilisent de plus en plus d’instruments comme les forceps. Les positions verticales, jugées bestiales et impudiques, sont alors remplacées par la position allongée. Elle est aussi décrétée comme plus pratique pour les examens, plus confortable pour la respiration, donnant plus de force pour pousser, moins contraignante pour le périnée.
Dès le XIXe siècle, quelques médecins voient dans cette posture forcée le reflet d’une nouvelle conception de la femme enceinte, malade et/ou martyre.
Le Roi soleil, fétichiste des accouchements ?
Louis XIV (père de 6 enfants légitimes et d’une quinzaine illégitimes) aurait favorisé la généralisation de la position allongée en insistant pour que ses nombreuses compagnes accouchent ainsi ! Selon les historiens, le Roi soleil vouait une fascination presque fétichiste aux accouchements et il ne voulait manquer aucun détail de l’affaire…
Une position forcée jusqu’à la fin du XXe siècle
Avec la généralisation des accouchements à l’hôpital, la mobilité pendant le travail s’est encore réduite, et la « french position » est devenue la norme. Au début, on accouchait dans des « lits de misère », où le haut du corps était rehaussé de coussins. Dans les campagnes, il existe encore de la diversité au début du XXe siècle. Par exemple, en Alsace, on accouche sur un sac de son. Dans le Morvan, accroupie entre deux chaises.
Avec la médicalisation de l’accouchement et l’arrivée de l’anesthésie, l’immobilité monte encore d’un cran ! Les femmes accouchent à plat dos sur une table haute, dure et étroite, les jambes en l’air écartées dans les étriers, cachées sous des draps. Les branchements – monitoring, perfusion, parfois sonde urinaire – empêchent de se mouvoir longtemps avant la poussée. Yvonne Kniebiehler, historienne de la maternité, raconte les excès de de cette époque dans son livre « Accoucher ». : « Le docteur entrait pour sa visite matinale en ordonnant paternellement “les papattes en l’air !” et les jeunes femmes se mettaient en position gynéco sans protester ».
Et maintenant, si on se relevait ?
Jusqu’à ce que des voix s’élèvent contre l’aberration physiologique, à la fin du XXe siècle ! Le bébé a besoin de la gravité pour descendre ! Le bassin a besoin de mobilité pour laisser passer le bébé ! Des gynécologues comme Michel Odent militent alors pour un retour aux accouchements naturels en position verticale avec le maximum de mobilité. Une « salle sauvage » pour accoucher nue et accroupie avec son conjoint ouvre à la maternité de Pithiviers. Des salles nature ou physio, où l’on peut prendre un bain, rester en mouvement sur un ballon, se suspendre accroupie et même se mettre à quatre pattes sont expérimentées ici et là, en maison de naissance notamment. Au moins la possibilité de bouger pendant le travail (péridurale ambulatoire), ou de se tourner sur le côté progresse lentement dans les maternités…
Reste que toutes les femmes ne se sentent pas forcément à l’aise avec cette image de la naissance et de leur corps. Mais devraient avoir au moins la possibilité de choisir. « Les femmes devraient être libres de choisir, et encouragées à le faire, la position qu’elles préfèrent pour l’accouchement. Elles changeront souvent de position car aucune d’elle n’est confortable longtemps », rappelle l’OMS.
Source : Article de Katrin Acou-Bouaziz pour le magazine Parents